Ce mois de juillet qui s’achève aura été le théâtre d’évènements climatiques redoutables et dramatiques. Les inondations en Belgique et en Allemagne ont fait des centaines de victimes et causé des dégâts immenses. Vivant à Bruxelles, familier des régions affectées en Wallonie et en Rhénanie, je reste encore, dix jours après cette catastrophe, largement sidéré par ce qui s’est passé, par la soudaineté, la violence et la force irrésistible de ces évènements, et par leurs conséquences terribles, inscrites à jamais dans les cœurs, dans les paysages et dans la mémoire collective de notre bout d’Europe. Pourquoi ? Sans doute, sûrement même, parce que c’est arrivé près de chez nous. La crise climatique, rares sont ceux aujourd’hui qui l’ignorent ou en contestent encore l’existence. Des tas d’images l’illustrent, mais elles sont souvent perçues comme lointaines. Le dôme de chaleur en début de mois de juillet, phénomène météorologique terrible, était dans l’ouest canadien. L’idée que le dérèglement climatique, c’est qu’il fait juste un peu plus chaud, que la mer monte et que les catastrophes sont ailleurs a été rudement démentie par ce que nous avons vécu entre Ardenne et Eifel. La vérité est qu’il n’existe aucune région, aucune géographie que la crise climatique ne menace pas.
Quelques voix se sont élevées pour s’émouvoir que l’on attribue à cette crise les évènements de juillet. On se demande bien pourquoi. Il y avait certes des tempêtes, des sécheresses et des canicules avant que le climat ne se dérègle, mais elles n’avaient ni cette ampleur, ni cette récurrence. Elles mettent au défi la résilience de nos sociétés et leur capacité à prévenir et affronter des risques naturels majeurs. Nous n’y sommes pas vraiment. L’urbanisation, l’artificialisation des sols, la gestion des cours d’eau et des barrages sont, pour le cas de la Wallonie, une réelle interrogation. Il faut souhaiter qu’une enquête, une mission d’information ou tout travail sincère et exhaustif, entre Belgique et Allemagne, revienne sur l’enchainement des évènements et sur ce que cette catastrophe nous aura malheureusement appris. Le but est de préparer l’avenir, de mieux nous protéger, d’intégrer le risque climatique au centre de toutes les politiques publiques. Cela vaut pour tous les pays, toutes les régions, toutes les communes. Et en parallèle, bien sûr, la mobilisation de tous les acteurs pour la mise en œuvre de l’Accord de Paris afin de rester sous une augmentation de 1,5 degré de la température terrestre d’ici à la fin du siècle doit plus que jamais s’intensifier.
Affronter la crise climatique requiert courage et vision, une capacité à accepter la réalité et à s’élever au-delà de tout calcul. Ce mois de juillet, là aussi, est illustratif. Exit en France le projet d’insérer la lutte contre le dérèglement climatique et la préservation de l’environnement à l’article 1er de la Constitution de 1958. La droite, majoritaire au Sénat, s’y est opposée. Elle craignait que l’emploi du verbe « garantir » dans la rédaction nouvelle de l’article 1er conduise au développement de la justice climatique en raison de l’obligation de résultat qui pourrait en résulter. Or, c’était précisément ce qu’il fallait souhaiter. La justice climatique est essentielle pour gagner le combat pour l’avenir de la planète, non pour clouer au pilori tel industriel ou tel politique et y trouver une quelconque jouissance, mais pour obtenir les changements de cap nécessaires. On n’affrontera pas utilement le défi du climat en roulant avec le frein à main. La traduction législative des propositions de la convention citoyenne sur le climat aura aussi été largement en dedans et c’est cette fois le fait de la majorité. Il y a tellement mieux et surtout tellement plus à faire. Une voix autorisée vient de le rappeler : le Conseil d’Etat, qui a mis le gouvernement français en demeure d’agir. Il faut l’entendre.
Le jour où se déchaînaient si tragiquement les éléments en Belgique et en Allemagne, la Commission européenne présentait une série de propositions législatives visant à permettre à l’Europe de réduire de 55% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 et d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Ces propositions sont courageuses. Il est question de refondre le marché du carbone pour en augmenter le prix, d’y intégrer des secteurs qui n’en sont pas comme le transport et les systèmes de chauffage, de mettre en place aux frontières de l’Union une taxe carbone qui protège les entreprises européennes d’une concurrence dispensée de telles obligations. Tout cela est nécessaire. J’ai la conviction que tout doit reposer sur un prix élevé du carbone dans le cadre de mécanismes de marché, qui oriente l’économie et les entreprises vers des investissements décarbonés. Encore faut-il pour cela prendre en compte l’impératif de justice sociale. La précarité énergétique et l’inégalité devant les transports concernent en effet des dizaines de millions d’Européens. L’acceptabilité et la réussite d’un tel plan dépendra de ce que financera le fonds social pour le climat annoncé par la Commission européenne et de la mobilisation dédiée des crédits du plan de relance européen.
Le combat contre la crise climatique est aussi celui de la justice sociale. On ne sauvera pas la planète en creusant les inégalités. Nous ne sommes pas égaux face aux aléas du climat, pas davantage que nous ne le sommes face aux solutions envisagées. Dans l’aménagement de nos territoires, au moment d’apprendre d’évènements dramatiques tels que ceux vécus en Belgique et en Allemagne et d’en tirer tous les enseignements, c’est d’abord vers les plus précarisés et les plus humbles de nos sociétés que l’effort doit porter. Ce sont eux qui, en proportion, vivent dans des passoirs thermiques, habitent dans des endroits davantage exposés aux risques, galèrent chaque jour pour se rendre au travail et pâtissent de choix urbains remontant parfois à très loin. Rien de cela ne peut être ignoré car tout se passe, là aussi, près de chez nous. Le pouvoir d’achat est au cœur des politiques climatiques à (re)penser et à mener. C’est l’un des enseignements que je partage chaque année avec mes étudiants dans l’atelier juridique que j’anime à l’Ecole de droit de Sciences-Po à Paris. Il n’est pas encore trop tard, mais l’horloge tourne et elle n’est pas en notre faveur. C’est une question d’avenir, de vie, de justice, de progrès, d’espoir. D’éveil et de dépassement, de foi en le génie humain. Et d’union dans l’action.
La crise climatique, oui, elle ne concerne pas du tout seulement le littoral, « aucune région, aucune géographie que la crise climatique ne menace pas », les causes du changement climatique sont de plus en plus sensibles. Vous parlez de « l’enchainement des évènements », vous évoquez « ’urbanisation, l’artificialisation des sols, la gestion des cours d’eau et des barrages » et les liaisons entre ces faits s’appellent crise climatique. On a toujours connu des pluies fortes, mais cette dimension comme on l’a vu en Rhénanie-Palatinat ou en Nordrhin-Westphalie a dépassé tout ce qu’on puisse s’imaginer. Oui, vous rappelez l’urgence « d’intégrer le risque climatique au centre de toutes les politiques publiques » et vous rappelez l’Accord de Paris. A juste titre, vous déplorez la lenteur ou l’incompréhension des instances politique, le Sénat en France inclus : « On n’affrontera pas utilement le défi du climat en roulant avec le frein à main. » Et je relève une autre phrase qui souligne le rapport entre la justice et les réformes et les mesure pour rester au-dessous 1,5 degré de la température terrestre d’ici à la fin du siècle : « La justice climatique est essentielle pour gagner le combat pour l’avenir de la planète, non pour clouer au pilori tel industriel ou tel politique et y trouver une quelconque jouissance, mais pour obtenir les changements de cap nécessaires. » D’ici, il n’est pas loin de découvrir le rapport entre la question climatique et la liberté comme Luisa Neubauer (Fridays for future) et Bernd Ulrich (DIE ZEIT) l’ont récemment souligné.
Vous rappelez aussi les récentes propositions de la Commission européennes. Elles vont dans la bonne direction. Or, je pense que les membres de l’UE mènent toujours encore une politique climatique (trop) nationale de sorte qu’on pourrait gagner l’impression que leur climat ne va que que jusqu’à leurs frontières. Le président Macron n’a de cesse de marteler souvent que le climat est parmi les problèmes qu’aucun membre de l’UE ne pourra résoudre pour lui-même. Le combat contre la crise climatique est une tâche européenne commune par excellence. Travailler de concert serait une chance pour chaque membre qui pourrait y gagner, comme l’Europe en sortirait plus forte.
Merci de mettre des mots sur ces évènements tragiques Pierre-Yves. L’horloge tourne en effet.
Un tout grand merci, chère Noémie!
Merci, cher Heiner. Il y a tant à faire. L’Europe doit être le continent moteur de la bataille à livrer pour sauver le climat et l’habitabilité de notre planète.