La disparition de Louis Sarrazin hier jeudi 6 octobre m’a beaucoup peiné, comme tant d’autres de ses amis. Sa personnalité, son itinéraire, ses histoires et ses passions ne laissaient pas indifférent. Cela fait plus de 20 ans que j’avais rencontré Louis. La première fois, je crois, c’était vers l’an 2000 à l’occasion d’une coordination des sections européennes du PS à Moosburg an der Isar, dans la campagne bavaroise, près de Munich. Louis n’était pas encore membre du PS à l’époque. Engagé à l’ADFE, il était venu en curieux d’Autriche et avait découvert ce petit monde partisan et joyeux, qui s’était empressé de l’adopter. Je me souviens des premiers échanges avec lui, conclus d’éclats de rire tonitruants et autres histoires hilarantes qu’il aimait conter, assorties d’anecdotes fleuries sur ses voyages et itinérances entre les Carpates et les Balkans.
Car Louis était avant tout un voyageur. Sans voiture et sans permis, il allait partout en train, en bus et à pied. Je n’ai pas souvenir qu’il m’ait un jour parlé de vélo. La vie l’avait conduit en Autriche, où il avait pris racine, familialement et professionnellement. Il aimait l’Autriche, mais rien ne le tentait plus que les pérégrinations vers les Balkans. Longtemps, ce furent entre nous des thèmes de conversation, surtout après l’élection de Louis à l’Assemblée des Français de l’étranger en 2006, qui fit de nous deux des collègues puisque j’en étais aussi. Puis à compter de 2012 et du début de mon mandat de député des Français de l’étranger, nous passâmes à la pratique avec des voyages ensemble vers l’Albanie, la Serbie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine ou la Bulgarie. Louis était toujours prêt à partir, valise faite, rajoutant des étapes et autres conseils sur mon agenda.
Je garde un souvenir ébloui de ces journées (longues) et nuits (courtes). Louis était un voyageur infatigable, curieux de tout. Il avait aussi un estomac solide. Il tenait à ce que nous mangions et buvions sérieusement. Cela fait partie du job, assurait-il. C’est ainsi qu’il entreprit de m’initier au « brandy des Carpates », avant de passer à la rakija au sud de Sarajevo et au-delà. Partout où nous passions, Louis était connu. Cela témoignait d’un engagement de terrain remarquable et d’une disponibilité sincère. Il y avait chez lui une gentillesse profonde et une sensibilité incroyable. Louis embrassait toutes les causes, vent debout contre les injustices, jamais en retard d’une colère contre les crédits rabotés ou les allocations oubliées. Il était une vigie sociale, me saisissant autant que nécessaire et demandant – à raison – des comptes sur les résultats obtenus, sans oublier les sous de ma réserve parlementaire.
Il me parlait de son enfance en Franche-Comté, je lui parlais de la Bretagne. Nous avions la province en commun, l’envie de voir le monde, et le goût des autres. Louis était d’une résistance sans faille. Je me souviens d’un voyage en Albanie, au début de l’année 2013. Je devais inaugurer une bibliothèque de l’Alliance française, à deux heures de route de Tirana. Louis m’accompagnait. Nous étions arrivés en retard, la nuit déjà tombée. Des tas de gens nous attendaient. En fait de bibliothèque, ce n’était pas un bâtiment dont il s’agissait, mais d’un simple meuble avec quelques étagères. Le fou-rire guettait. Le président de l’Alliance avait apporté sa production viticole personnelle. C’était une épouvantable piquette. Mon verre avait fini derrière les plantes vertes. Louis, avec un claquement de langue, avait assuré à l’inverse que tout cela était bien bon et son verre avait aussitôt été rempli de nouveau.
Une autre fois, il m’avait rejoint en Bulgarie, me recommandant un bon hôtel. Le lendemain matin de notre arrivée, Louis apparut tout fatigué et pale (« dislivet », aurait-on dit chez moi en Bretagne) au petit-déjeuner. Sa chambre était située juste au-dessus d’une boîte de nuit et la musique avait été lancée à fond vers minuit. Les murs tremblaient, le sol bougeait et le lit aussi. Louis n’avait pas fermé l’œil de la nuit. De l’autre côté de l’hôtel, j’avais dormi comme une marmotte. On en avait ri, concluant que les voyages formaient la jeunesse, même la jeunesse un peu amortie comme la nôtre. Quelque temps après à Belgrade, nous avions séjourné dans un hôtel appelé « Président ». Ma chambre s’appelait Ceauscescu et je dus dormir face à un portrait géant du conducator… Louis, à l’inverse, faisait face paisiblement au portrait de la présidente islandaise.
Cette somme d’histoires avait rendu Louis très populaire dans mon équipe parlementaire, qui l’avait vite rebaptisé « Loulou des Balkans ». Louis était fidèle. Il était toujours présent, attentif, attentionné. Un jour, préparant avec mon équipe un déplacement en Autriche, il avait suggéré une étape à Salzburg, au Mozarteum. Il voulait me présenter l’ancienne conservatrice, à la retraite depuis peu. Ceci nous conduisit, Louis et moi, avec notre ami Pierre Avédikian et mon collaborateur Cyril Mallet, dans les entrailles du musée, face aux manuscrits originaux de Mozart. Ce moment-là, l’émotion ressentie, la force de l’instant resteront à jamais dans ma mémoire. Un an après, nous étions de retour pour célébrer la remise de la Légion d’honneur à cette compatriote remarquable, qui a consacré toute sa vie à Mozart et dont je tiens de Louis le privilège, la chance d’avoir fait la rencontre.
C’était tout cela, « Loulou des Balkans », un type au grand cœur, à la générosité sans limite, toujours partant pour l’aventure, aimant crapahuter partout et loin, comme il le racontait. On ne dit jamais assez aux gens de leur vivant qu’ils sont précieux, comiques, inspirants, attendrissants. J’aurais aimé le dire à Louis. Le temps file et un jour, ils ne sont plus là. Louis n’est plus là et nous sommes nombreux aujourd’hui à éprouver de la peine, du chagrin, à penser aux siens et à vouloir l’exprimer. Il reste la plume, les souvenirs, les photos, les vidéos peut-être aussi. Je me dis que Louis est parti en voyage, je ne sais trop où. Il est parti en nous laissant des tas d’images et de récits, désormais en nous, comme un leg commun à ses amis. Il vivra dans nos mémoires, entre rires et reconnaissance, rêves et causes, à jamais « Loulou des Balkans ».
Cher Pierre Yves, tu as comme, toujours trouvé les mots justes, pour rendre hommage à Louis. Un grand coeur toujours au front, un immense engagement et une grande curiosoité qui a fait de lui une encyclopédie vivante et humaine de notre région. Toutes nos pensées vont vers les siens,
Merci, c’est un bel hommage, haut en couleurs !
Un bien joli hommage, et tellement vrai… quelques instants, j’ai pu sentir encore sa présence auprès de nous. Merci.
Merci, cher Pierre. Ce grand coeur et cet esprit d’aventure, jeune jusqu’au bout, resteront chers à nos souvenirs lorsque nous repenserons à Louis.
Merci, cher Jérôme. Louis était un type humainement et généreusement hors du commun. Il aura marqué beaucoup d’entre nous.
Quelque part, Louis est près de nous, cher Sébastien, par ces souvenirs que nous avons en partage de lui. Merci pour ton message.