Je suis entré hier dans une nouvelle décennie. Il n’y avait plus assez de place sur le gâteau pour les nombreuses bougies désormais nécessaires et le pâtissier de l’île de Bréhat ne m’en avait finalement donné qu’une seule, belle et symbolique. C’était mieux. C’est l’âge de la sagesse, paraît-il. Mais saurai-je un jour être sage ? Si c’est ne plus oser, vivre précautionneusement, sans âme ni sel, ce ne sera pas moi. Si c’est en revanche ne jamais cesser d’avoir envie, d’agir et d’aimer, alors ce sera moi. Je n’ai jamais eu peur de voir les années défiler. En 2020, dans la nuit d’un autre 4 novembre, au bord de l’océan à l’Ile-Tudy, j’avais écrit un petit texte pour mon blog que j’avais intitulé Le temps qui reste. Là est en effet le sujet : il y a tant de choses que je souhaite faire qu’il faudra que ce temps-là soit vraiment long. Je compte bien m’y employer. Il faut avoir la forme, bouger, ne jamais manquer d’idées, de projets, d’enthousiasme et de rêves. Il faut surtout ne rien s’interdire, et notamment d’être heureux. Au commencement, il y avait certainement la joie de vivre. Elle m’habite depuis le premier jour. Je la tiens d’une enfance simple et tendre, de l’éducation reçue de mes parents, et d’une grand-mère qui avait su dépasser toutes les misères de la vie pour en voir et, plus encore, en vivre le meilleur.
La vie est une succession d’époques. Il y a 10 ans, j’ai eu 50 ans. Je revois encore la photo, dans la cour de l’Assemblée nationale. J’avais connu des années de conquête, professionnelle, politique, familiale. Celles qui suivirent furent différentes. J’ai eu le chagrin de perdre mon père. J’ai quitté la vie publique, ou, plutôt, elle m’a échappé. J’ai vécu la solitude des revers de fortune, quand le téléphone ne sonne plus guère, que la boîte mail reste vide, et que certaines amitiés – ou relations que je croyais telles – s’évaporent. Dans le succès, on est toujours entouré. Dans l’infortune, on est bien seul. Ce fut pour moi une rude et utile leçon de vie. La cinquantaine fut ainsi un parcours de résilience. J’ai fait le dos rond. Je me suis reconstruit. Je me suis occupé de mes enfants. J’ai appris à cuisiner. Je suis devenu un pro du spinning dans ma salle de sport. J’ai créé mon entreprise et je suis reparti humblement sur la route. J’ai enseigné. J’ai écrit. J’ai crapahuté dans des coins aussi perdus que magnifiques, de vie et de générosité d’âme, et j’ai surtout rencontré des femmes et hommes dont l’humanité, la personnalité et les passions m’ont marqué. Je me suis rendu compte à quel point, finalement, j’aimais les gens. On ne vit pas sans chaleur, sans communion de pensée et de projets, sans les autres ou contre les autres.
C’est fort de cette histoire que j’aborde le temps qui vient. Il y a tant de belles causes à rallier. Mes ultimes années professionnelles sont pour la planète, pour réussir la transition énergétique et écologique, sans sacrifier la croissance ni la justice sociale. J’aime ce que je fais, en Savoie, à Bruxelles, en Bretagne et ailleurs. Dans quelques jours, je partirai pour les Açores, imaginer et agir pour des îles laboratoires du monde décarboné de demain. C’est possible. Il faut y croire, ne jamais cesser d’inventer, d’innover, d’investir, de travailler et de convaincre. Le pire n’est probable que si l’on renonce. Il m’arrive de regretter ce temps où les réseaux sociaux n’existaient pas et que les prophètes de malheur et autres porte-paroles de la sinistrose étaient réduits à une vie groupusculaire. Aujourd’hui, ils ont un boulevard pour la désinformation et la haine de l’autre. Ils ont leur rond de serviette sur des chaînes de télévision abrutissantes et des réseaux planétaires devenus toxiques. L’avenir ne peut être cela. La connerie ambiante n’est pas fatale. C’est par l’exemple qu’il faut s’y attaquer, par les valeurs, par les projets, par les succès concrets et surtout partagés. Cette dimension de partage et d’inclusion m’est chère. Notre société n’est pas une somme d’individualités, elle est un destin commun qu’il nous faut faire vivre.
J’aime la liberté. Et la solidarité. Je n’oublie pas que je suis né le jour de l’élection de Lyndon Johnson à la Présidence des Etats-Unis. C’était il y a 60 ans, un grand mandat, des réformes pour tous les Américains. Aujourd’hui, une autre élection se tient. J’espère la victoire de Kamala Harris, d’abord pour la démocratie américaine. Que l’on puisse, comme le fait Donald Trump, menacer de saper les fondements de la constitution de son pays si le suffrage ne lui souriait pas est effrayant. J’ai peur pour nos démocraties, là-bas et chez nous. La violence verbale gangrène le débat public. Les insultes tiennent lieu d’arguments. Essentialiser un adversaire – le juif, l’arabe, le chrétien – devient normal. Le communautarisme prospère. Que reste-t-il donc de l’universalisme ? Je tiens à la République, à la laïcité et j’ai envie de me battre pour cela. L’Etat de droit, la démocratie, la liberté sont un héritage formidable qu’il faut protéger, développer et transmettre. Au regard des défis de nos sociétés et du monde, ce n’est pas de moins de démocratie dont nous avons besoin, mais de bien plus. En inventant des formes nouvelles d’échanges et de décisions collectives, en sécurisant nos processus électoraux contre les menaces étrangères et la pression des intérêts particuliers, en formant la jeunesse à la citoyenneté.
Tout cela, au fond, n’est guère sage. Ma vie de sexagénaire ne se voudra pas reposante, mais entreprenante. Et elle sera drôle aussi. Je revendique de rire et peut-être également de faire rire. Se marrer est recommandé. On ne vit pas longtemps sans joie. Et puis il y aura du sport. Un jour, je partirai grimper les cols mythiques du Tour de France à vélo. Je ferai le Tourmalet, le Ventoux, le Galibier, l’Izoard. Quand les enfants auront grandi, je prendrai le chemin de Saint-Jacques de Compostelle au départ de Vézelay et je leur raconterai tous les soirs mon aventure. Mais avant qu’ils ne grandissent de trop, nous retournerons ensemble en Amérique et la traverserons d’est en ouest, vers la Californie et mes souvenirs de jeunesse au bord du Pacifique. Peut-être bien aussi que nous irons voir les ours – ma secrète passion – au Canada ou dans les Carpates. Il y aura des grands matches de la Ligue des Champions dans des stades mythiques, des séjours émus sur les traces provençales de Pagnol, des tas de bouquins à lire et quelques-uns à écrire aussi. Avoir 60 ans, c’est avoir envie de tout cela et se préparer à l’accomplir. Et il y aura toujours ce petit blog sur lequel je continuerai de confier mon histoire, pour que la mémoire demeure, que vivent les idées et les rêves, et que l’avenir reste plus que jamais à écrire.
Sache que tu as toujours des amis qui te suivent depuis Bruxelles et en passant par l’Assemblée Nationale avec des bons souvenirs de toutes nos rencontres.
Amicalement
Jean
Un immense merci, cher Jean!
J’espère que tu auras tout le temps et la santé don’t tu as besoin pour mener à bien tes nombreux projets, Pierre-Yves ! Toujours heureuse de te lire et de te rencontrer.
Une impressionnante to do list que je sais a ta portée et non Pierre Yves tes amis ne t’oublient pas! Tout au contraire ils pensent souvent a toi! Bon anniversaire
N’oubliez pas que vous êtes né le même jour qu’un grand Européen et que vous marchez sur ses traces. Charles de Villers croyait au perfectionnement de l’humanité et même si les signaux sont au rouge en ce moment, il faut continuer d’y croire.
Merci pour ce texte et restez toujours jeune!
Merci, chère Monique. Votre message me touche beaucoup. Vous avez raison: il faut croire en l’humanité, même lorsque c’est dur et plus encore parce que c’est dur. Nous avons besoin d’Europe. En ce jour de réélection de Donald Trump, nous savons désormais que nous ne pourrons plus compter que sur nous-mêmes. C’est autant un choc qu’une opportunité de destin.
Un immense merci, chère Claude!
Merci, chère Margarida. Je compte bien te retrouver sur plusieurs projets, comme l’alliance des juristes passionnés de la promotion Christopher-Dawson à Bruges.
Bonjour Pierre-Yves, j’ai lu ton post avec plaisir et il me rend plein d’optimisme. Même mieux : d’envie. J’aurai 50 ans dans 5 mois et je pense de temps à temps à cette nouvelle décennie qui se profile. Mais au final, ce sont des chiffres. Certes, on évolue tous et on passe par les mêmes étapes que celles que tu as connues. Et c’est ce qui fait le charme de la vie. Toutefois, je retiens une chose et que je partage avec toi en lisant ton récit: quelque soit la décennie, il faut se bouger, aller de l’avant, aller vers les autres tout en appréciant ses moments de solitude. Car eux aussi nous renforcent et nous apprennent à aimer notre propre compagnie. Être entrepreunant et rempli de projets sont autant de points que je partage et me réjouis de les lire aussi dans tes écrits. Bref, que de belles choses pour une vie à remplir (encore). Je te souhaite une très belle décennie, l’ami. 😉
Merci pour ton message si juste, cher Axel. La jeunesse est vraiment un état d’esprit.